Composition française
Retour sur une enfance bretonne
Mona Ozouf
Gallimard, NRF, 2009
La Bretagne incarnée
p. 69
Vers quatorze ou quinze ans, après avoir, grâce aux livres,
notamment au Brasillach de Comme le temps passe,
à peu près compris ce qui se joue entre un homme et une femme,
restait pour moi l'énigme de la durée de l'acte :
au gré des ouvrages, tantôt une étreinte éphémère,
tantôt une folle nuit d'amour.
Je m'en suis donc enquise auprès de ma grand-mère ;
fidèle à sa fonction rassurante, elle m'a alors pris le bras :
« loutenn » (en breton, « mon cœur »,
ou « ma chérie »), « ne t'en fais pas,
c'est tout de suite fini ».
L'école de la Bretagne
p. 89
Autour de nous, et avec nous, ces cousins [Écosse, Galles,
Cornouailles, Irlande] composent la grande patrie celte.
Sur les rayons de la bibliothèque leurs œuvres voisinent
avec les nôtres, le Barzaz Breiz
auprès des Mabinogion, qui sont pour Renan
la véritable expression du génie celtique.
Et la bibliothèque est encore assez œcuménique pour accueillir
le Kalevala, jumeau finnois du Barzaz.
Une composition française
p. 239
C'est précisément sur un déni de l'histoire
que s'est fondée en France la République.
Le credo des révolutionnaires est que l'histoire
n'est pas leur « code », comme l'a proclamé
Rabaut de Saint-Étienne : les hommes peuvent s'en affranchir,
ils ne sont pas condamnés à répéter ce qu'ils ont été.
p. 241
Il nous faut vivre, tant bien que mal,
entre cette universalité idéale et ces particularités réelles.
On ne peut devenir humain qu'en niant ce qui nous individualise
et qu'au prix de l'arrachement à nos entours immédiats.
C'est bien ce dont l'école française tâchait de persuader
les petits Basques, Bretons ou Catalans : le renoncement
à leur identité originelle, frappé d'une invincible infériorité,
devait être le prix à payer pour leur émancipation.
p. 242
Chacun doit composer son identité
en empruntant à des fidélités différentes.
Mémoires