Le Déclin de l'Occident

Esquisse d'une morphologie de l'histoire universelle
Oswald Spengler, Der Untergang des Abendlandes
Traduction : Mohand Tazerout
Tel, Gallimard, 1948, 1976

Tome I, 1918

Introduction

4, p. 35
Le cosmos du Grec était l'image d'un univers qui ne devient pas, mais qui est. En conséquence, e Grec même était un homme qui jamais ne devint mais toujours fut.
5, p. 43
Pour l'Indou et l'homme antique, l'image d'un univers en devenir est inexistante, et si la civilisation d'Occident venait à s'éteindre, peut-être n'y aurait-il plus jamais de culture et, par conséquent, de type humain, pour qui l'« histoire universelle » sera une aussi puissante forme d'être éveillé.

Tableaux synoptiques

Ier tableau — Les époques spirituelles « contemporaines »

p. 87
  L'Inde (depuis 1500 av. J.-C.) L'Antiquité (depuis 1100 av. J.-C. L'Arabie (depuis 0) L'Occident (depuis 900 ap. J.-C.
Printemps. Intuition et paysage — Créations grandioses d'une âme rurale, éveillée d'un profond sommeil — Unité et richesses suprapersonnelles 1. Naissance d'un mythe de grand style comme expression d'un nouveau sentiment de Dieu : Angoisse et nostalgie cosmique
1500-1200 : Religion du Véda — Légendes héroïques des Aryens 1100-800 : Religion populaire de « Déméter » héllénico-italique— Le mythe olympien — Homère — Légendes d'Héraclès et de Thésée 0-300 : Le christianisme primitif — Mandéens, Marcion, Gnose, Syncrétisme (Mithra et Baal) — Évangiles et Apocalypses — Légendes chrétiennes, mazdéennes et païennes 900-1200 : Catholicisme germanique — Eddas (Baldur) — Bernard de Clairvaux, Joachim de Flore, François d'Assise — Épopée populaire (Siegfried) et chevaleresque (Graal) — Légendes pieuses d'Occident
2. Organisation première, mystico-métaphysique, de cette intuition cosmique nouvelle : la haute scolastique
Les plus anciens fragments des Védas Orphisme primitif (oral) — Discipline étrusque — Échos postérieurs dans Hésiode et les Cosmogonies Origène ✝ 254 — Plotin ✝ 269 — Mani ✝ 271 —Jamblique ✝ 330. Avesta, Talmud et littérature patristique St Thomas ✝ 1264 — Duns Scott ✝ 1308 — Dante ✝ 1321 — Eckart ✝ 1329. Mystique et scolastique
Été. Maturation de la conscience intérieure — Les premières émotions critiques de l'âme citadine et bourgeoise
3. La Réforme : insurrection ethnique collective contre les grandes formes du passé
Bramanas, premiers éléments des Upanishads (Xe-IXe s.) Mouvement orphique — Religion de Dyonisos et de Numa (VIIe s.) St Augustin ✝ 430 — Nestoriens (430) — Monophysites (450) — Mazdak (500) Nicolas de Cues ✝ 1464 — J. Hus ✝ 1415, Savonarole, Karlstadt, Luther, Calvin ✝ 1564
4. Début d'une conception philosophique du sentiment cosmique — Antithèse des systèmes idéalistes et réalistes
Les Upanishads Les grands présocratiques des VIe-Ve s. Littérature byzantine, juive, syriaque, cophte, persane des VIe-VIIe s. Galilée, Bacon, Descartes, Bruno, Bœhme, Leibniz (XVIe-XVIIe s.)
5. Formation d'une nouvelle mathématique : conception du nombre comme une hypostase de la forme cosmique
Épuisé Le nombre-grandeur (mesure) — Géométrie et Arithmétique — Les Pythagoriciens à partir de 540 Le nombre indéfini (algèbre) — (reste encore à étudier) Le nombre-fonction (analyse) — Descartes, Pascal et Fermat (1630) — Newton et Leibniz (1670)
6. Le Puritanisme : appauvrissement rationalistico-mystique de l'élément religieux
Trace dans les Upanishads Ligue pythagoricienne à partir de 540 Mahomet (622) — Pauliciens et Iconoclastes à partir de 650 Puritains anglais (1620) — Jansénistes français (1640) (Port-Royal)
Automne. L'intellect de la grande ville et l'apogée de la puissance créatrice strictement spirituelle
7. « L'Ère des Lumières » : Foi en la toute-puissance de la raison — Le culte de la « Nature » et la « Religion raisonnable »
Sutras, Sankhyas, Bouddha — Les Upanishads de date récente Sophistes du Ve s. — Socrate ✝ 399 — Démocrite ✝ 360 Mutazilites — Soufisme — Nassam, Al-Kindi (830) Sensualistes anglais : Locke — Encyclopédistes français (Voltaire) ; Rousseau
8. Apogée de la pensée mathématique : la clarification du monde formel des nombres
Épuisée. (Le zéro comme nombre déterminé par la place qu'il occupe) Archytas ✝ 365 — Platon ✝ 346 — Eudoxe ✝ 355 — Sections coniques (Théorie des nombres — Trigonométrie sphérique). Non étudiée Euler ✝ 1783 — Lagrange ✝ 1813 — Laplace ✝ 1827 — Le problème infinitésimal
9. Les grands systèmes définitifs idéalistes, épistémologiques et logiques
Yoga, Vêdânta ; Vaiceshika ; Nyaya Platon ✝ 346 — Aristote ✝ 322 Al-Farabi ✝ 950 — Avicenne ✝ 1000 Goethe et Kant — Schelling, Hegel, Fichte
Hiver. La civilisation cosmopolite commence — Extinction de la force créatrice de l'âme — La vie même devient problème — Tendances éthico-pratiques de la masse irreligieuse, amétaphysique des grandes villes
10. Conception matérialiste du monde : le culte de la science, de l'utilité et du bonheur
Sankhya, Tscharwaka (Lokoyata) Cyniques, Cyrénaïques, derniers Sophistes (Pyrrhon) Sectes communistes athées, « épicuriennes », de l'époque abbaside — les « frères intègres » Bentham, Comte, Darwin, Spencer, Stirner, Marx, Feuerbach
11. Les idéals éthico-sociaux : époque de la « philosophie amathématique » — le scepticisme
Courants bouddhiques Philosophie héllénistique. Épicure ✝ 270. Zénon ✝ 265 Courants islamiques Schopenhauer, Nietzsche ; Socialisme, Anarchisme ; Hebbel, Wagner, Ibsen
12. Le monde formel mathématique intérieurement achevé — les systèmes de pensée définitifs
Épuisé Euclide, Apollonios (300) — Archimède (250) Al-Khwarizmi (800) — Ibn Qurra (850) Al-Kashi et Al-Binini (Xe s.) Gauss ✝ 1855 — Cauchy ✝ 1857 — Riemann ✝ 1866
13. Chute de la pensée abstraite devenue philosophie de la chaire et affaire de spécialistes — Littérature encyclopédique
Les « six systèmes classiques » Académie, Peripatos, Stoïciens, Épicuriens Écoles de Bagdad et de Bassora Kantiens — « Logiciens » et « Psychologues »
14. Un dernier état d'âme cosmique s'étend sur le monde entier
Bouddhisme depuis 500 Stoïcisme hellénistico-romain depuis 200 Fatalisme pratique de l'Islam depuis 1000 Socialisme éthique en progrès depuis 1900

IIIe tableau — Les époques politiques « contemporaines »

  Égypte Antiquité Chine Occident
Culture. Groupe ethnique de style marqué et d'intuition cosmique unitaire : « Nations ». Action d'une idée d'État immanente 1. Période de jeunesse : division organique de l'existence politique — Les 2 premiers ordres : noblesse et clergé — Économie féodale des valeurs purement terriennes
Ancien empire (2900-2400) Les Doriens (1100-650) 1e période des Zhou (1300-800) Période gothique (900-1500)
a) Féodalité : esprit rural et paysan — La ville n'est qu'un marché ou un bourg — Palais changeant de maîtres — Idéals chevaleresques et religieux — Luttes entre vassaux ou des vassaux contre leurs suzerains
L'État féodal sous la IVe dynastie — Puissance croissante des féodaux et des prêtres — Le pharaon incarnation du Râ La royauté homérique — L'essor de la noblesse (Ithaque, l'Étrurie et Sparte) Le pouvoir central (Wang) opprimé par la noblesse féodale Saint-Empire romain germanique — La noblesse aux croisades —L'Empire et la Papauté
b) Crise des formes patriarcales et leur dissolution — Des ligues féodales à l'État corporatif
Division de l'Empire en principautés héréditaires sous la VIe dynastie — Les VIIe et VIIe dynasties et l'interrègne Synoïcisme nobiliaire — La royauté se résout en magistratures annuelles — Oligarchie 934-909 : Les vassaux expulsent le 1er Wang — 842 : Interrègne Princes territoriaux — États de la Renaissance — Lancaster et York — 1254 : Interrègne
2. Période de maturité : réalisation de l'idée d'état mûre — La ville contre la campagne — Naissance du 3e ordre : la bourgeoisie — Victoire de l'argent sur les biens
Moyen Empire (2150-1800) Les Ioniens (650-300) 2e période des Zhou (800-500) Période baroque (1500-1800)
c) Constitution d'états politiques ayant une forme rigoureuse — La Fronde
XIe dynastie : Chute des barons par les maîtres de Thèbes — État centralisé de fonctionnaires Les premiers tyrans du VIe siècle : Kleisthènes, Périandre, Polycrate, les Tarquins — La cité-État « Le siècle des protecteurs » (mingzhu 685-591) et des congrès princiers (460) Puissance des maisons dynastiques et Fronde (Richelieu, Wallenstein, Cromwell) : vers 1630
d) Dernière perfection de la forme politique (« absolutisme ») — Unité de la ville et de la campagne (« État et société » — Les « trois ordres »)
XIIe dynastie : 2000-1788 — Pouvoir central rigoureux — Noblesse de cour et d'argent — Amenemhet et Séstrostris La polis pure (absolutisme du demos) — Politique de l'agora — Création du tribunat — Thémistocle et Périclès Période de Chiunqiu (« Printemps et Automne ») 590-480 — Les sept grandes puissances — Forme achevée (li) « Ancien régime » — Rococco — Courtisans de Versailles — Politique de cabinets — Habsbourgs et Bourbons — Louis XIV et Frédéric II
e) Coups d'État (Révolution et Napoléonisme) — Victoire de la ville sur la campagne (du peuple sur les privilégiés, de l'intelligence sur la tradition, de l'argent sur la politique)
1788-1680 : Révolutions et régime militaire — Chute de l'Empire — Petits souverains issus pour partie du peuple IVe siècle : Révolutions sociales et seconds tyrans (Denys 1er, Jason de Phérée, le Censeur Ap. Claudius, Alexandre le Grand 480 : Début de la période Zhanguo — 441 : Chute de la dynastie Zhou — Révolutions et guerres d'extermination Fin du XVIIIe siècle : Révolutions américaine et française (Washington, Fox, Mirabeau, Robespierre, Napoléon 1er)
Civilisation. Dissolution du corps ethnique, désormais doué d'un sens essentiellement cosmopolite, et réduction de ce corps en masse informe. Ville mondiale et province : le 4e ordre (masse) — Anorganique — Cosmopolite a) Règne de l'argent (« démocratie ») — Les puissances économiques com-pénètrent la forme et le pouvoir politiques
1680-1580 : temps des Hyksos — Décadence très profonde — Dictature des généraux étrangers (Chian) — Victoire définitive des rois de Thèbes à partir de 1600 300-100 : Hellénisme politique — D'Alexandre à Hannibal et à Scipion (200), le roi est tout-puissant ; de Cléoménès III et C. Flaminius (220) à Marius, les chefs populaires radicaux s'y substituent 480-230 : « Période des États batailleurs » — 288 : le titre d'Empereur — Les hommes d'État impérialistes de Qin — Incorporation des derniers États à partir de 249 1800-2000 : De Napoléon à la guerre mondiale, c'est le « système des grandes puissances », des armées permanentes, des constitutions — Au XXe siècle, passage de la puissance constitutionnelle à des puissances individuelles informes — Guerres d'extermination. Impérialisme
b) Formation du césarisme — Victoire de la politique de violence sur l'argent — Les formes politiques prennent un caractère de plus en plus primitif — Épuisées intérieurement, les nations se réduisent en une population informe et se condensent dans un impérium qui retourne peu à peu au despotisme primitif
1580-1350
XVIIe dynastie — Toutmès III
100 av.-100 ap. J.-C.
De Sulla à Domitien — César et Tibère
250 av.-26 ap. J.-C.
Maison de Wang Zheng et dynastie occidentale de Han — 221 : titre d'Auguste (Shi), de César (Huangdi, Wudi)
2000-2200
c) Vers la forme définitive : politique privée et familiale des souverains — Le monde comme butin : égyptianisme, mandarinisme — Cristallisation ahistorique et impuissance de l'impérialisme, même, contre l'esprit de rapine des peuples jeunes ou des conquérants étrangers — ascension lente des hommes primitifs vers une vie hautement civilisée
1350-1205
XIXe dynastie : Sethos 1er, Ramsès II
100-300
De Trajan à Aurélien — Trajan et Septime Sévère
25-200
Dynastie orientale de Han — 58-76 : Mingdi
Après 2200

Chapitre I. Du sens des nombres

Chapitre II. Le problème de l'histoire universelle

p. 144
Le XIXe siècle nous apparaît infiniment plus riche et plus important que, par exemple le XIXe av. J.-C., mais la lune aussi nous apparaît plus grande que Jupiter et Saturne.

Chapitre III. Le Macrocosme

p. 220
Que les chefs-d'œuvre d'art des vieilles cultures soient encore vivants pour nous — donc « immortels » — voilà qui relève encore et littéralement de ces « imaginations » qui se maintiennent par l'unanimité des opinions contraires. Là-dessus reposent, par exemple, l'influence du groupe Laocoon sur l'art de la Renaissance et celle des tragédies de Sénèque sur le drame classique des Français.
p. 225
« Nature » est une propriété qui est saturée de part en part de substance personnelle. La nature est chaque fois une fonction de la culture.

Kant a cru résoudre le grand problème, qui consiste à savoir si cet élément existe « a priori » ou est acquis par l'expérience, en lançant sa fameuse formule de l'espace comme forme de l'intuition qui serait à l'origine de toutes les impressions de l'univers.
p. 227
C'était une erreur grave et, pour un contemporain d'Euler et de Lagrange, impardonnable que de vouloir découvrir la copie exacte de l'antique géométrie scolaire — car c'est toujours à elle que Kant pensait — dans les formes de la nature qui nous environne.

Chapitre IV. Musique et Plastique

p. 336
Resumons l'antithèse entre l'idéal d'humanité apollinienne et faustienne. Le nu est au portrait ce que le corps est à l'espace, la durée à l'histoire, le plan antérieur à la profondeur, le nombre euclidien au nombre analytique, la mesure à la fonction. La statue a sa racine dans le sol, la musique — et le portrait occidental est une musique, une âme faite de nuances colorées — traverse l'espace illimité. La fresque est liée au mur où elle est née ; la peinture à l'huile est libérée, comme tableau, des bornes locales. Le langage formel apollinien révèle un devenu, le faustien en outre et surtout un devenir.
p. 347
On sait l'action exercée sur Michel-Ange par le groupe du Laocoon récemment découvert.

Chapitre V. Image mentale et sentiment vital

p. 411
Une statue attique est un corps complètement euclidien, atemporel et afonctionnel, absolument fermé en soi. Elle se tait. Elle n'a pas de regard. Elle ignore tout du spectateur.
p. 429
Si, avec moins de préjugés et d'exhaltation romantique pour certaines œuvres éthiques, Nietzsche avait bien observé son temps, il aurait remarqué qu'une morale de la compassion, prétendument spécifique du christianisme, n'existe point sur le territoire de l'Europe occidentale au sens qu'il lui donnait.

Chapitre VI. Science faustienne et Science apollinienne

13. p. 514
Nous approchons du jour où on renoncera définitivement à la possibilité d'une mécanique achevée en soi et sans contradiction.
p. 515
La théorie de la relativité, hypothèse de travail d'un sans-gêne cynique, touche au cœur de la dynamique. Appuyée sur les essais de Michelson, selon lequel la vitesse de la lumière reste indépendante du mouvement du corps lumineux, préparée mathématiquement par Lorentz et Minkowski, elle renferme comme tendance propre la destruction du concept du temps absolu.
p. 516
Le grand style de la représentation est fini et il a fait place, comme dans l'architecture et l'art plastique, à une sorte d'industrie de la fabrication des hypothèses ; seule la suprême maîtrise de la technique expérimentale correspondant à l'esprit du siècle est capable de voiler la décadence de la symbolique.
14. p. 516
C'est au nombre de ces symboles décadents qu'il faut compter maintenant avant tout l'entropie, thème connu depuis la deuxième proposition de la thermo-dynamique.
15. p. 521
Il reste encore à esquisser la fin de la science occidentale en général, fin qu'on peut apercevoir avec sûreté, aujourd'hui que le chemin descend en pente douce.

Tome II, 1922


L'homme du ressentiment, Miksi nykymusiikki on niin vaikeaa,
Histoire