Surveiller et punir

Naissance de la prison
Michel Foucault
tel Gallimard, 1975

I Supplice

Chapitre premier. Le corps des condamnés
p. 9
Damiens avait été condamné, le 2 mars 1757, à « faire amende honorable devant la principale porte de l'Église de Paris », où il devait être « mené et conduit dans un tombereau, nu, en chemise, tenant une torche de cire ardente du poids de deux livres », puis, « dans le dit tombereau, à la place de Grève, et sur un échafaud qui y sera dressé, tenaillé aux mamelles, bras, cuisses et gras des jambes, sa main droite tenant en icelle le couteau dont il a commis le dit parricide, brûlée de feu de soufre, et sur les endroits où il sera tenaillé, jeté du plomb fondu, de l'huile bouillante, de la poix résine brûlante, de la cire et soufre fondus et ensuite son corps tiré et démembré à quatre chevaux et ses membres et corps consumés au feu, réduits en cendres et ses cendres jetées au vent. »
p. 39
Que les punitions en général et que la prison relèvent d'une technologie politique du corps, c'est peut-être moins l'histoire qui me l'a enseigné que le présent. Au cours de ces dernières années, des révoltes de prison se sont produites un peu partout dans le monde. [...] C'étaient des révoltes contre une misère physique [...] mais aussi contre les prisons modèles [...]
Chapitre II. L'éclat des suplices
p. 42
Les décisions du Châtelet pendant la période 1755-1785 comportent 9 à 10 % de peines capitales — roue, potence ou bûcher ; le Parlement de Flandre avait prononcé 39 condamnations à mort sur 260 sentences, de 1721 à 1730 (et 26 sur 500 entre 1781 et 1790). [... Dans la juridiction du Châtelet] le bannissement a représenté plus de la moitié des peines infligées [avec] une dimension de supplice : exposition, pilori, carcan, fouet, marque.
p. 60
Ce qui avait sous-tendu cette pratique des supplices, ce n'était pas une économie de l'exemple, [...] mais une politique de l'effroi [...] Le supplice ne rétablissait pas la justice ; il réactivait le pouvoir.

II Punition

Chapitre premier. La punition généralisée
pp. 87-88
Le pouvoir souverain ne voyait pas [...] un défi qu'il se lance à lui-même et qui pourra être relevé un jour : accoutumé « à voir ruisseler le sang », le peuple apprend vite « qu'il ne peut se venger qu'avec du sang ».
p. 92
À cet ensemble de précautions, il faut ajouter la croyance, assez généralement partagée, en une montee incessante et dangereuse des crimes.
p. 99
La criminalité se fondait dans un illégalisme plus large, auquel les couches populaires étaient attachées comme à des conditions d'existence ; et inversement, cet illégalisme était un facteur perpétuel d'augmentation de la criminalité. De là une ambiguité dans les attitudes populaires : d'un coté le criminel [...] bénéficiait d'une valorisation spontanée [...] mais d'autre part celui qui [...] commettait des crimes aux dépens de [la population] devenait facilement l'objet d'une haine particulière.

II Discipline

IV Prison

Chapitre premier. Des institutions complètes et austères
p. 269
Évidence économico-morale d'une pénalité qui monaie les châtiments en jours, en mois, en années et qui établit des équivalences quantitatives délit-durée. De là l'expression si fréquente, si conforme au fonctionnement des punitions, bien que contraire à la théorie stricte du droit pénal, qu'on est en prison pour « payer sa dette ».
Chapitre II. Illégalisme et délinquance
pp. 309-313
— Les prisons ne diminuent pas le taux de la criminalité [...]
— La détention provoque la récidive [...]
— La prison ne peut pas manquer de fabriquer des délinquants [...]
— La prison rend possible, mieux, elle favorise l'organisation d'un milieu de délinquants, solidaires les uns des autres, hiérarchisés, prêts pour toutes les complicités futures [...] — Les conditions qui sont faites aux détenus libérés les condamnent fatalement à la récidive [...]
— Enfin la prison fabrique indirectement des délinquants en faisant tomber dans la misère la famille du détenu [...]
Depuis un siècle et demi, la prison a toujours été donnée comme son propre remède.

Histoire