La Part de l'autre

Éric-Emmanuel Schmitt
Albin Michel, Le Livre de Poche, 2001

La minute qui a changé le cours du monde

p. 115
Désarçonné, il songeait à l'inégalité des heures passées ensemble ; pour lui, il s'était toujours agi de moments de plaisir ; pour elle, pas. Il rêvait sur la différence des sexes, le mâle si facile et si fréquent dans la jouissance, la femme si rare et si imprévisible ; le mâle prodigue mais harassé, la femme avare mais inépuisable. Il ne comprenait pas pourquoi son désir, si visible, si tangible, si fort, ne passait pas de son sexe au sien. Il commençait à soupçonner qu'aucun procédé mécanique, caresse, pénétration, frottage, pilonage, usure, ne transmettait le plaisir ; il devait y avoir un autre passage. Lequel ?

Révélations

p. 155
Même leur amitié venait d'être abattue. Ils n'étaient plus que des corps, trois corps assez sains et valides pour être tués. Ils pouvaient devenir camarades, mais plus amis ; camarades car la camaraderie n'est que le partage d'une situation commune ; plus amis car l'amitié suppose que l'on s'aime pour ce qu'on a de différent non pour ce qu'on a de commun.
p. 210
C'est étrange, l'amitié. Alors qu'en amour, on parle d'amour, entre vrais amis on ne parle pas d'amitié. L'amitié, on la fait sans la nommer ni la commenter. C'est fort et silencieux. C'est pudique. C'est viril. C'est le romantisme des hommes. Elle doit être beaucoup plus profonde et plus solide que l'amour pour qu'on ne la disperse pas sottement en mots, en déclarations, en poèmes, en lettres. Elle doit être beaucoup plus satisfaisante que le sexe puisqu'elle ne se confond pas avec le plaisir et les démangeaisons de peau. [...]
Chaque fois que je vous voyais plus vulnérables, je vous aimais davantage. C'est injuste, n'est-ce pas ? L'homme et la femme ne s'aimeront jamais aussi authentiquement que deux amis parce que leur relation est pourrie par la séduction. Ils jouent un rôle. Pire, ils cherchent chacun le beau rôle. Théâtre. Comédie. Mensonge. Il n'y a pas de sécurité en amour car chacun pense qu'il doit dissimuler, qu'il ne peut être aimé tel qu'il est. Apparence. Fausse façade. Un grand amour, c'est un mensonge réussi et constamment renouvelé. Une amitié, c'est une vérité qui s'impose. L'amitié est nue, l'amour fardé.
p. 215
Mon Dieu, donnez-moi la force. Je ne suis pas certain de croire en Vous, surtout ce soir où ça m'arrangerait bien. Peut-être justement parce que ça m'arrangerait bien. Bref, mon Dieu, ça tomberait bien, si Vous existiez, que Vous Vous penchiez sur moi et que vous m'aidiez à me relever.

Le dictateur vierge

pp. 331-332
La première pensée qui traversa l'esprit d'Hitler fut qu'on allait l'accuser de meurtre. La deuxième fut la colère devant cet acte stupide. La troisième fut de la peine.
p. 356
On l'avait trouvé convaincant. On l'avait trouvé grotesque. Mais personne ne l'avait trouvé dangereux.

Quinze heures vingt-neuf

p. 360
Les sujets généraux étaient ceux sur lesquels il pouvait briller tandis qu'il y avait toujours un spécialiste plus compétent sur les sujets particuliers.

Journal

p. 479
Il ne ment pas : il fabrique de la réalité.
p. 491
On devrait créer un Observatoire des humiliations.

Romans