Tome I
« Les grandes personnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez d'un nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais sur l'essentiel. Elles ne vous disent jamais : "Quel est le son de sa voix ? Quels sont les jeux qu'il préfère ? Est-ce qu'il collectionne les papillons ?" Elles vous demandent : "Quel âge a-t-il ? Combien a-t-il de frères ? Combien pèse-t-il ? Combien gagne son père ?" Alors seulement elles croient le connaître. Si vous dites aux grandes personnes : "J'ai vu une belle maison en briques roses, avec des géraniums aux fenêtres et des colombes sur le toit...", elles ne parviennent pas à s'imaginer cette maison. Il faut leur dire : "J'ai vu une maison de cent mille francs." Alors elles s'écrient : "Comme c'est joli !" »
La découverte de la numération de position a échappé à la majorité des peuples de l'histoire.
[...]
En fait, cette règle essentielle n'a été imaginée que quatre fois au cours de l'histoire.
1 | eka |
2 | dvau, dva dve, dvi |
3 | trayas, tisras, tri |
... | |
10 | daśa |
20 | vimśati |
30 | trimśati |
... | |
100 | śatam, śata |
1983, 20 octobre. La 17e Conférence générale des poids et mesures fixe la cinquième définition du mètre en s'appuyant sur la vitesse de la lumière dans le vide (299 792 458 m/s) : c'est la longueur du trajet parcouru par la lumière dans le vide pendant une durée de 1/299 792 458e de seconde. La seconde, quant à elle, est définie comme la durée de 9 192 631 770 périodes de la radiation correspondant à la transition entre les deux niveaux hyperfins de l'état fondemental de l'atome de césium 133. La mëme conférence fixera les définitions des cinq autres unités de base (kilogramme, ampère, kelvin, mole et candela), ainsi que les normes du système international (SI) actuel.
[Lévy-Bruhl, à propos des Dènè-Dindjiés du Canada. La mentalité « primitive »] est mystique, orientée autrement que la nôtre. Elle est souvent indifférente aux caractères objectifs [qui nous sont] les plus manifestes, et préoccupée au contraire des propriétés mystérieuses et secrètes des êtres.
À partir d'une époque qu'il est difficile de situer avec exactitude — mais qui, nous le verrons, est peut-être antérieure de peu à l'époque séleucide [311 av J.-C.] — les astronomes et les mathématiciens babyloniens ont usé d'un véritable zéro pour signifier l'absence d'unités sexagésimales d'un certain rang.
Fragment d'une table de racines carrées. Date : 1800 environ av. J.-C.
[Thot] entama une partie de dés avec la Lune. Et comme il eu l'avantage sur sa partenaire, il se fit donner par elle un soixante-douzième de ses feux et de sa lumière, dont il disposa pour fabriquer cinq journées entières qu'il ajouta aux 360 de l'année telle qu'elle existait jusqu'ici.
Pas plus que les signes des numérations précédentes, les chiffres romains n'ont permis à leurs utilisateurs de faire des calculs,
[...]
En fait, les chiffres romains sont non pas des signes servant à effectuer des opérations arithmétiques, mais des abréviations destinées à notifier et à retenir les nombres. Et c'est pourquoi les comptables romains [...] ont toujours fait appel à des abaques à jetons pour effectuer des calculs.
p. 455
Un peuple qui, en peu de siècles, atteignit un très haut niveau technique conserva ainsi curieusement, durant toute son existence, un système inutilement compliqué, non opératoire et comportant de la sorte un archaïsme de pensée caractérisé.
L'unité monétaire romaine était l'as de bronze.
L'origine phénicienne de l'alphabet grec ne fait pas de doute.
p. 530
La notation de la phrase ne peut pas, en grec, se passer de voyelles comme dans les langues sémitiques. [...]
Les grecs ont [...] converti les signes des gutturales sémitiques, qui leur étaient inutiles, en signes nécessaires à la notation des voyelles.
YHWH, « Yahweh », est le seul et véritable « Nom Propre » de Dieu. C'est le Tétragramme divin. Il est censé comporter le caractère éternel de Dieu puisqu'il est constitué des trois formes hébraïques du verbe « être », à savoir : Hayah « Il fut », Ho Weh « Il est », YiHyeh « Il sera ».
Il y eu même une fois au Japon un véritable match, qui opposa : le Japonais Kiyoshi Matsuzaki, le champion de soroban du bureau de l'Épargne du ministère de l'Administration des postes [...] ; à l'Américain Thomas Nathan Woods, soldat de deuxième classe de la 240e section financière du quartier général des forces US au Japon, qui avait été désigné comme « l'opérateur de calculatrice électrique le plus expert de l'armée américaine au Japon ». C'était en novembre 1945.
Quant au système romain, on y a multiplié les conventions d'écriture d'une manière tellement inconsidérée que celui-ci a fini par manquer de cohésion. Et comme on a usé simultanément de deux principes logiquement incompatibles (les principes additif et soustractif), le même système est allé jusqu'à marquer une nette régression par rapport aux autres numérations écrites de l'histoire.La première avancée notable [...] est due [...] aux scribes égyptiens [...]
Les juifs et les Grecs, et après eux les Syriaques, les Arméniens et les Arabes, se donnèrent des notations mathématiquement équivalentes [...]
Mais au lieu de procéder comme les Égyptiens en schématisant progressivement le tracé de leurs chiffres initiaux. ceux-ci ont forgé leurs systèmes à partir de leurs alphabets respectifs. Considérant les lettres dans [...] l'ordre « abécédaire », d'origine phénicienne [...] de telles numérations associèrent en effet les neuf premières aux unités simples, puis les neufs suivantes aux dizaines, et ainsi de suite.
[...] ce procédé apporta [...] une solution acceptable [...] au problème de la représentation numérique, le nombre 7659 se trouvant noté, comme en hiératique ou en démotique égyptien, seulement au moyen de quatre signes.
[Les] numérations assyro-babylonienne et araméenne furent [...] des systèmes de type « hybride partiel ».
[...] les Chinois et les peuples de l'Inde méridionale (Tamil et Malayâli) [ont abouti à des] numérations de type « hybride complet ».
Les systèmes savants babylonien, chinois et maya furent donc bien les premières numérations de position de l'histoire.
Rabbi Ben Ezra.
Né à Tolède vers 1092, celui-ci entreprit, à partir de 1139, un long voyage en Orient, qui s'acheva ensuite par un séjour de quelques années en Italie. Puis il vécut dans le Midi de la France, avant d'émigrer vers l'Angleterre où il s'éteignit en 1167.
[...]
Toutefois, au lieu de se conformer strictement à la graphie des chiffres d'origine indienne, il préféra représenter les neuf premiers nombres entiers au moyen des neuf premières lettres de l'alphabet hébreu.
Ainsi la découverte du zéro et de la numération décimale de position s'est-elle vraisemblablement produite au milieu de l'époque de l'empire des Gupta, dynastie qui régna sur toute la vallée du Gange et des ses affluents de 240 environ à 535, et dont la période a été qualifiée de classique.
Que j'aime à faire apprendre ce nombre utile aux sages.
Immortel Archimède, artiste, ingénieux (sic),
Qui, de ton jugement peut priser la valeur ?
Pour moi, ton problème eut de pareils avantages.
Tome II
[Des] textes citent l'invention par Cai-Lun en l'année 105 avant notre ère d'un papier fait avec une boullie provenant du défibrage de chiffons et de vieux filets de pêche. Cependant, l'idéogramme qui sert à écrire le mot papier en chinois contient le signe relatif à la soie. [...] Pendant longtemps, l'Occident aura ignoré le papier. Ce sont des Chinois faits prisonniers par les Arabes à la bataille de Talas [dans l'actuelle Kirghizie] qui, en 751, commencèrent à fabriquer du papier à Samarkand. [...] les envahisseurs arabes [l']introduisirent en Espagne [après 900].
On connaît aussi le sentiment du vide, cette impression bizarre de manque et de privation que l'on éprouve péniblement sans pour autant en connaître les causes précises : un sentiment que Chateaubriand avait appelé le spleen, mais que bon nombre désignent aujourd'hui sous le nom de stress.
p. 192
Le sens du terme français de nullité n'existe d'ailleurs en tant que tel que depuis quelques siècles. Il provient du latin médiéval nullitas dont il constitue la traduction fidèle. Mais au temps des Romains, cette notion n'était exprimée que par l'adjectif indéfini nullus, nulla [...]
Mais du vide, on passe aussi au néant. Ce mot est issu du latin scolastique non ens (littéralement : « non étant »).
[Rien] provient du latin rem, accusatif de res, « chose ». C'est pourquoi, en vieux français, « rien » signifiait encore « quelque chose ».
[Le latin nihil] n'est autre que notre « rien » actuel.
[Les] notions philosophiques de vacuité, de nihilisme, de nullité, de non-être, d'insignifiance et d'absence ont été conçues de bonne heure en Inde (sans doute dès le début de notre ère) suivant une parfaite homogénéité [...]
Les concepts de cette philosophie ont été poussés à un tel point que l'on a été jusqu'à distinguer vingt-cinq espèces de śhûnya [...]
[Les] mathématiciens du monde musulman connaissaient le développement du binôme (a + b)m, pour un exposant « m » entier positif quelconque [triangle de Pascal], dès le Xe siècle au moins.
L'une des périodes les plus brillantes de l'histoire de la science s'est déroulée en Terre d'Islam du VIIIe au XIIIe siècle.
[En] disant science arabe, on n'entend pas nécessairement science musulmane. Il s'agit essentiellement de la science qui avait été véhiculée par la langue arabe [...]
p. 208
[Cette] science (`ilm) est avant tout la connaissance de la Loi religieuse. Mais en Islam, elle n'est pas absolument séparée de la science profane [...]
[Le] calife `Umar (634-644) avait [...] fait détruire une grande quantité d'ouvrages inestimables pris en Perse, en déclarant ceci, selon une tradition bien établie : « Si ces livres contiennent ce qui mène à la vérité, Allah nous a donné ce qui nous y mènera encore plus sûrement. Mais si ces livres devaient contenir des choses fausses, alors ils sont inutiles » [...]
Mais de telles attitudes extrémistes furent tout de même exceptionnelles dans l'histoire de la civilisation arabo-musulmane.
p. 212
La célèbre bibliothèque d'Alexandrie, la plus riche de l'antiquité grecque, fut pillée et détruite à deux reprises : une première fois au IVe siècle ap. J.-C. par des vandales chrétiens, et une autre fois (par un étrange paradoxe de l'histoire) par des Musulmans exaltés du VIIe siècle.
Nous sommes en France aux alentours de 1575, en pleine Renaissance. Le seigneur Michel Eyquem de Montaigne, conseiller au parlement de Bordeaux, ex-conseiller à la cour des aides de Périgueux, ami de François II, puis de Charles IX, bientôt maire Bordeaux, est l'un des hommes les plus érudits de son temps. [...] Et pourtant, il avoue sans honte qu'il ne sait pas calculer !
p. 342
Il fallait alors à un étudiant plusieurs années d'études assidues et les vicissitudes d'un long voyage pour maîtriser les mystères de la multiplication et de la division : l'équivalent en somme d'un doctorat de nos jours.
[...] ce vieux rêve intemporel de l'être humain qu'Aristote fit il y a deux mille trois cent ans : « Si chaque instrument, s'était-il pris à rêver, pouvait, par ordre ou par pressentiment, accomplir son œuvre propre, et si (pareils aux statues légendaire de Dédale, ou aux trépieds d'Héphaistos, qui, au dire du poète, pouvaient eux-mêmes entrer dans l'assemblée des dieux), les navettes tissaient d'elles-mêmes et les plectres jouaient de la cithare, alors les maîtres d'œuvre n'auraient nul besoin de manœuvres, ni les maîtres d'esclaves. » Les vrais hommes, ajouta-t-il, abandonneraient alors les tâches viles, si indignes d'eux, pour ne plus se consacrer qu'aux activités de citoyens et à la recherche du savoir et de la sagesse qu'il procure.
En 1931, [Gödel] provoqua une véritable révolution dans le monde des logiciens en établissant qu'une arithmétique non contradictoire ne saurait former un système complet car elle comporte nécessairement une formule indécidable ; autrement dit que cette arithmétique ne peut contenir la démonstration formelle de sa propre non-contradiction. C'est ce qu'on appelle l'axiome du choix.