la société de consommation

ses mythes, ses structures
Jean Baudrillard
idées/gallimard, E. P. Denoël 1970

Première partie : La liturgie formelle de l'objet

Le cercle vicieux de la croissance

La comptabilisation de la croissance ou la mystique du P.N.B.

p. 46
[...] toute chose produite est sacralisée par le fait même de l'être.

Deuxième partie : Théorie de la consommation

La logique sociale de la consommation

L'idéologie égalitaire du bien-être

pp. 60-61
Le principe démocratique est [...] transféré d'une égalité réelle, des capacités, des responsabilités, des chances sociales, du bonheur (au sens plein du terme) à une égalité devant l'Objet et autres signes évidents de la réussite sociale et du bonheur. C'est la démocratie du standing, la démocratie de la T. V., de la voiture et de la chaîne stéréo, démocratie apparemment concrète mais tout aussi formelle, qui répond, par delà les contradictions et inégalités sociales, à la démocratie formelle inscrite dans la Constitution. Toutes deux, l'une servant d'alibi à l'autre, se conjuguent en une idéologie démocratique globale qui masque la démocratie absente et l'égalité introuvable.

Le paléolithique, ou la première société d'abondance

p. 91
Le chasseur-collecteur n'a rien de l'Homo œconomicus d'invention bourgeoise. Il ne connaît pas les fondements de l'Économie Politique. Il reste même toujours en deçà des énergies humaines, des ressources naturelles et des possibilités économiques effectives.

Pour une théorie de la consommation

L'autopsie de l'homo œconomicus

p. 93
C'est un conte : « Il était une fois un Homme qui vivait dans la Rareté. Après beaucoup d'aventures et un long voyage à travers la Science Économique, il rencontra la Société d'Abondance. Ils se marièrent et eurent beaucoup de besoins. »

Dénégation de la jouissance

p. 109
La vérité de la consommation, c'est qu'elle est non une fonction de jouissance, mais une fonction de production — et donc, tout comme la production matérielle, une fonction non pas individuelle mais immédiatement et totalement collective.
p. 110
La jouissance n'y apparaît plus du tout comme finalité, comme fin rationnelle, mais comme rationalisation individuelle d'un processus dont les fins dont ailleurs.

La personnalisation ou la plus petite différence marginale (P.P.D.M.)

To be or not to be myself

p. 125
Personnalisez vous-même votre appartement !

La production industrielle des différences

p. 126
Il y a concentration monopolistique de la production des différences.
Formule absurde : monopole et différence sont logiquement incompatibles.

Distinction ou conformité ?

p. 133
Il y a d'abord une logique structurelle de la différentiation, qui produit des individus comme « personnalisés », c'est-à-dire comme différents les uns des autres, mais selon des modèles généraux et selon un code auxquels, dans l'acte même de se singulariser, ils se conforment.

Code et Révolution

pp. 136-137
Ce n'est pas en noyant les individus sous le confort, les satisfactions et le standing que la consommation désamorce la virulence sociale [...], c'est au contraire en les dressant à la discipline inconsciente d'un code, et d'une coopération compétitive au niveau de ce code, ce n'est pas par plus de facilité, c'est au contraire en les faisant entrer dans les règles du jeu.

Troisième partie : Mass media, sexe et loisirs

La culture mass-médiatique

Le recyclage culturel

p. 153
Jadis, [les prix littéraires] signalaient un livre à la postérité, et c'était cocasse. Aujourd'hui ils signalent un livre à l'actualité, et c'est efficace.

Medium is message

pp. 187-188
[Le] véritable message que délivrent les media T. V. et radio, celui qui est décodé et « consommé » inconsciemment et profondément, ce n'est pas le contenu manifeste des sons et des images, c'est le schème contraignant, lié à l'essence technique même de ces media, de désarticulation du réel en signes successifs et équivalents : c'est la transition normale, programmée, miraculeuse, du Vietnam au music-hall, sur la base d'une abstraction totale de l'un comme de l'autre.

Au-delà du vrai et du faux

p. 197
Le problème de la « véracité » de la publicité est à poser ainsi : si les publicitaires « mentaient » vraiment, ils seraient faciles à démasquer —mais ils ne le font pas— et s'ils ne le font pas, ce n'est pas qu'ils soient trop intelligents pour cela — c'est que « l'art publicitaire consiste surtout en l'invention d'exposés persuasifs qui ne soient ni vrais ni faux » (Boorstin). Pour la bonne raison qu'il n'y a plus d'original ni de référentiel réel, et que, comme tous les mythes et paroles magiques, la publicité se fonde sur un autre type de vérification — celui de la selffulfilling prophecy.

Le plus bel objet de consommation : le corps

Le corps est-il féminin ?

p. 215
La définition sexuelle de la femme est d'origine historique : le refoulement du corps et l'exploitation de la femme sont placés sous le même signe qui veut que toute catégorie exploitée (donc menaçante) prenne automatiquement une définition sexuelle. Les Noirs sont « sexualisés » pour la même raison, non pas parce qu'ils seraient « plus proches de la Nature », mais parce qu'ils sont serfs et exploités.
p. 216
Les femmes, les jeunes, le corps, dont l'émergence après des millénaires de servitude et d'oubli constitue en effet la virtualité la plus révolutionnaire, et donc le risque le plus fondamental pour quelque ordre établi que ce soit — sont intégrés et récupérés comme « mythe d'émancipation ». On donne à consommer de la Femme aux femmes, des Jeunes aux jeunes, et dans cette émancipation formelle et narcissique, on réussit à conjurer leur libération réelle. Ou encore : en assignant les Jeunes à la Révolte [...] on fait d'une pierre deux coups : on conjure la révolte diffuse dans toute la société en l'affectant à une catégorie particulière, et on neutralise cette catégorie en la circonscrivant dans un rôle particulier : la révolte. Admirable cercle vicieux de l'« émancipation » dirigée, qu'on retrouve pour la femme : en confondant la femme et la libération sexuelle, on les neutralise l'une par l'autre.

La mystique de la solitude

Playtime, ou la parodie des services

p. 257
Essais
Marc Girod
Juillet 2017