Décider ensemble

La fabrique de l'obligation collective
Philippe Urfalino
Les Livres du Nouveau Monde, Le Seuil, 2021

Introduction

p. 15
[La conception de la délibération issue de l'« agir communicationnel » de Habermas] avait notamment l'inconvénient de laisser croire, contre l'évidence empirique, que la tenue d'une délibération supposait réunie des conditions rarement satisfaites [la sincérité des interlocuteurs, leur souci de vérité et de justice].

Première partie : Décider en corps

1. Un phénomène normatif

p. 27
Le choix n'est qu'une des facettes de la décision [...] La décision oblige.

2. La qualification des situations

L'agrégation des préférences

p. 66
[Le] club [lui] avait confié la tâche de commander une pizza pour la prochaine réunion. Scrupuleusement [il avait] consigné les préférences de chacun dans le tableau suivant...
Nombre de personnesPréférée en premierPréférée en deuxièmePréférée en troisième
3SalamiSaucisseAnchois
2SaucisseSalamiAnchois
2AnchoisSaucisseSalami
Le malheureux a donc utilisé la règle de la majorité relative (la pizza préférée par le plus grand nombre). Ce faisant, il a été confronté au problème du « mal élu » : la pizza à la saucisse est préférée à celle au salami par une majorité plus importante (quatre membres sur sept).

3. Les corps délibérants

Le mode d'être adverbial des collectifs

p. 127
Simmel pointe ici deux difficultés :

4. La délibération collective

Deux conceptions et trois composantes

p. 150
[Aristote] Les espèces de la réthorique sont au nombre de trois. [...] : le délibératif, le judiciaire, l'épidictique.

Le conseil

p. 160
À l'égard de la capacité du discours à changer notre avis sur ce qu'il convient de faire en situation de décision, il est utile d'envisager deux positions extrêmes. La première considère que la persuasion est rare [...] La seconde craint la puissance persuasive et en fait volontiers une forme de violence [...] Les deux se trompent pour la même raison : elles ne voient pas que la puissance du discours délibératif est ancrée dans la nature même de l'action humaine.

L'organisation du débat

p. 172
Modèle oratoire et modèle de la discussion diffèrent [...] par la distribution de la parole et de l'écoute, par leur modalité dominante, coopérative ou agonistique, par les exigences normatives qui leur sont associées et par leur robustesse.

Seconde partie : Déclarer la volonté générale

6. La règle de non-opposition

p. 225
[Une] partie des modes de décision habituellement dénommés « décisions par consensus » est bien reconnaissable comme l'usage d'une règle d'arrêt spécifique. Cette dernière peut être appelée règle de non-opposition. [...] au cours d'une réunion où l'on discute d'une affaire exigeant une décision, un participant avance une proposition ; si personne ne la conteste, cette proposition est estimée acceptée et se voit conférer le statut de décision.

La règle de non-opposition est-elle démocratique ?

p. 256
Une règle de majorité sans pluralisme et sans protection pour la minorité n'a rien de démocratique ; et il est possible de faire un usage très inégalitaire et manipulatoire de la règle de non-opposition.
p. 259
Notre appréciation du caractère égalitaire de cette règle de décision doit dépendre de l'importance relative que nous attachons, d'un coté à l'égalité dans la participation à la délibération collective et, de l'autre, à l'égalité du poids de chacun [statut social ou expertise] dans la formation du résultat final.

8. L'obligation majoritaire

Compter et peser

p. 315
La majorité ne peut toucher à la nature de ce qui lie entre eux les majoritaires et les minoritaires, soit l'institution à laquelle ils appartiennent et pour laquelle ils agissent de concert.

Conclusion

p. 357
Je me suis écarté de l'angle sous lequel [la décision] est généralement abordée ; angle qui l'assimile à un choix collectif ou à une agrégation des préférences. J'ai au contraire considéré que la décision collective est plus qu'un mécanisme de coordination entre une pluralité d'acteurs. Elle est aussi une manière de produire une obligation collective.
p. 359
[Les exemples] ont rendu patente une distinction entre trois types de situations [...] Les situations de partage équitable, les situations de négociation et les situations de décision collective.
p. 363
Un groupe ne se forme qu'en relation avec d'autres groupes dont il se distingue.
[Louis Dumont] « Qu'est-ce qui fonde en principe le domaine du politique à l'intérieur du social ? Nous poserons que le niveau politique apparaît dès qu'une société conçue à l'ordinaire comme multiple se pose comme une face à d'autres. »

Essais, Politique
Marc Girod
Sat Feb 18 16:18:21 2023