Plaidoyer pour les intellectuels


by Jean-Paul Sartre
idées/gallimard, 1972
Text of 3 lectures given in Tokyo and Kyoto in September and October 1965

Première conférence : qu'est-ce qu'un intellectuel ?

p 12

L'intellectuel est quelqu'un qui se mêle de ce qui ne le regarde pas.

p 14-15

L'action nie partiellement ce qui est (le champ pratique se donne comme situation à changer) au profit de ce qui n'est pas (fin à atteindre, redistribution des données premières de la situation [...]). Mais cette négation est dévoilement et s'accompagne d'une affirmation puisqu'on réalise ce qui n'est pas avec ce qui est [...] Ainsi la praxis comporte le moment du savoir pratique qui révèle, dépasse, conserve et déjà modifie la réalité.

p 16

[L]a division du travail permet [...] d'engendrer des spécialistes du savoir pratique.

p 21

[...] l'idée de Nature, compromis entre l'objet rigoureux des sciences exactes et le monde chrétien créé par Dieu.

p 22

En étendant l'idée de loi naturelle au domaine économique —erreur inévitable mais fondamentale—, ils font de l'économie un secteur laïcisé et extérieur à l'homme.

p 23-24

Les « philosophes » apparaissent donc comme des intellectuels organiques au sens que Gramsci prête à ce mot : nés de la classe bourgeoise, ils se chargent d'exprimer l'esprit objectif de cette classe.
[...] cet ensemble de valeurs et d'idées —qui aboutit finalement à ces deux formules : tout homme est bourgeois, tout bourgeois est homme— porte un nom : c'est l'humanisme bourgeois.
Aujourd'hui la classe bourgeoise est au pouvoir mais nul ne peut plus la tenir pour classe universelle. [...] La bourgeoisie persiste à se dire humaniste, l'Occident s'est baptisé « monde libre ».

p 30-31

Le « philosophe » du XVIIIe siècle avait [...] la chance d'être l'intellectuel organique de sa classe. [...] Aujourd'hui [...] les techniciens du savoir pratique [...] découvrent l'aliénation puisqu'ils sont les moyens de fins qui leur demeurent étrangères et qu'on leur interdit de remettre en question.

p 35

Les inventions nouvelles demeurent longtemps des instruments de frustration pour la majorité.

p 36

Le pouvoir n'ignore pas que la réalité du technicien est la contestation permanente et réciproque de l'universel et du particulier et qu'il représente, au moins en puissance, ce que Hegel a appellé la « conscience malheureuse ». Par là il le tient pour éminemment suspect.

p 37

À partir de là, il y a deux possibilités:

A. Le technicien du savoir accepte l'idéologie dominante ou s'en arrange : il arrive en toute mauvaise foi, à mettre l'universel au service du particulier ; il pratique l'auto-censure et devient agnostique, apolitique, etc.

B. S'il constate le particularisme de son idéologie et ne peut s'en satisfaire [...] alors l'agent du savoir pratique devient un monstre, c'est-à-dire un intellectuel, qui s'occupe de ce qui le regarde [...] et dont les autres disent qu'il s'occupe de ce qui ne le regarde pas.

Deuxième conférence : fonction de l'intellectuel

I Contradictions

p 49

Un des grands dangers que l'intellectuel doit éviter, s'il veut avancer dans son entreprise, c'est d'universaliser trop vite. J'en ai vu qui, pressés de passer à l'universel, condamnaient, pendant la guerre d'Algérie les attentats terroristes algériens au même titre que la répression française. C'est le type même de fausse universalité bourgeoise. Il fallait comprendre, au contraire, que l'insurrection de l'Algérie, insurrection des pauvres, ne pouvait pas ne pas choisir les maquis et la bombe.

5) p 53-56

L'ennemi le plus direct de l'intellectuel est ce que j'appelerai le faux intellectuel et que Nizan nommait le chien de garde [...] Il est clair pour une pensée qui se radicalise que cette prise de position pseudo-universaliste revient à déclarer : « Je suis pour la violence chronique que les colons exercent sur les colonisés (sur-exploitation, chômage, sous-alimentation maintenue par la terreur) ; en tout cas c'est un moindre mal qui finira bien par disparaître ; mais je suis contre la violence que les colonisés pouraient exercer pour se délivrer contre les colons qui les oppriment. »

II L'intellectuel et les masses

p 67

La corruption est justement le caractère profond contre lequel tout intellectuel —l'ayant découvert en soi— s'insurge.

III Le rôle de l'intellectuel

p 76-77

Il ne s'agit donc pas de vouloir ramener l'autre obstinément à son propre point de vue mais de créer par une compréhension approfondie des deux thèses les conditions de possibilité pour un dépassement de l'une et de l'autre.
Reste que, même ainsi défini, il n'est mandaté par personne : suspect aux classes travailleuses, traître pour les classes dominantes, refusant sa classe sans jamais pouvoir s'en délivrer tout à fait [...]

Troisième conférence : l'écrivain est-il un intellectuel ?

p 92

Jean Genet : les brûlantes amours de la sentinelle et du mannequin.

p 93

Le prosateur a quelque chose à dire mais ce quelque chose n'est rien de dicible.

Le degré zéro de l'écriture, La communauté désoeuvrée, Préface aux Damnés de la terre,
Philosophie, essais
Marc Girod
Last modified: Sun May 15 15:48:23 EEST 2005