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L'Idiot de la famille

Gustave Flaubert de 1821 à 1857
Jean-Paul Sartre
NRF, Gallimard, 1971, 1988

Ses amis :

Préface

p. 7
C'est qu'un homme n'est jamais un individu ; il vaudrait mieux l'appeler un universel singulier : totalisé et, par là même, universalisé par son époque, il la retotalise en se reproduisant en elle comme singularité.
p. 8
[...] on entre dans un mort comme dans un moulin.

Première partie : La constitution

I. Un problème

II. Le père

III. La mère

IV. Le frère aîné

p. 115
On a reconnu ce mauvais matérialisme, ce matérialisme bourgeois et moléculaire : celui-là même que le médecin-philosophe prenait pour une philosophie. C'est mettre cul par-dessus tête les événements et les raisons : Achille ne dut pas à son exceptionnelle intelligence la confiance que son père ne cessa de lui marquer ; il dut ses rares qualités d'esprit à la décision irrévocable qui l'avait, dès sa conception, avant peut-être, fait prince héritier de la Science.

V. Naissance d'un cadet

p. 138
Je l'avoue : c'est une fable. Rien ne prouve qu'il en fut ainsi. Et, pis encore, l'absence de ces preuves — qui seraient nécessairement des faits singuliers — nous renvoie, même quand nous fabulons, au schématisme, à la généralité : mon récit convient à des nourrissons, non pas à Gustave en particulier. N'importe, j'ai voulu le mener à bout pour ce seul motif : l'explication réelle, je peux m'imaginer, sans le moindre dépit, qu'elle soit exactement le contraire de celle que j'invente ; de toute manière il faudra qu'elle passe par les chemins que j'indique et qu'elle vienne réfuter la mienne sur le terrain que j'ai défini : le corps, l'amour.

p. 144

[...] la culture, d'abord simple milieu, lacune ignorée, devient chez l'animal, à la faveur du dressage, pure négation par elle-même de l'animalité : c'est une fission qui entraîne la bête au-dessus et au-dessous de son niveau familier, la haussant vers une compréhension impossible pendant que son intelligence égarée s'effondre dans l'hébétement/ Par elle, rien n'est donné : quelque chose est ôté ; sans atteindre jamais à la sissiparité réflexive, l'immédiat du vécu est fêlé, contesté. Par rien : donc nul espoir de médiation ; une ombre de distance sépare la vie d'elle-même, rend la nature moins naturelle. Du coup, l'immanence tranquille se change en présence à soi.

p. 172

[...] il se rapproche de l'acteur : il suggère aux autres de lui imposer les sentiments qu'il souhaite ressentir ; son être, « insaisissable dans l'immanence », doit refluer sur lui du dehors. Ainsi l'acteur a besoin du public pour être cet Hamlet qu'il représente : encore sait-il profondément qu'il ne l'est pas.

VI. Père et fils

A. Retour à l'analyse régressive

B. La vassalité

C. L'insuffisance

D. L'infériorité

E. La soumission

F. Le ressentiment

G. Le monde de l'envie

VII. Les deux idéologies

A. Analyse régressive

B. Synthèse progressive

1. Le scientisme
2. L'autre idéologie
p. 531
[...] il eût dit à Gustave : « Dieu n'est nulle part : ni dans l'espace, ni dans le temps, ni dans ton cœur : et ce vide infini, partout, ce froid, notre éternelle désespérance, que veux-tu que cela soit sinon Lui ? Tu scrutes hors de toi pour découvrir un signe, en toi pour découvrir un mandat ; il n'y a rien, bien sûr : le mandat et le signe, c'est cette quête absurde et vaine que tu poursuivras contre toute évidence et contre les raisons de ton père ; non, tu ne chercherais pas Dieu si tu ne L'avais trouvé ; et, précisément pour cela, n'espère jamais Le voir ni Le toucher : Il est trouvé, te dis-je, donc tu Le chercheras jusqu'au bout, dans l'ignorance, en gémissant », bref si ce précurseur eût inventé à lui seul et pour l'usage du jeune collégien cette dialectique religieuse du Non, aujourd'hui mise au point et pratiquée en tout lieu par des spécialistes, il eût converti pour toujours le fils du philosophe voltairien.

p. 560

Antoine
J'implorais Dieu dans ma détresse, je tâchais de me rapprocher de lui.
La Foi
Ce n'est pas dans la détresse qu'il faut implorer Dieu.

Voilà qui est clair : Dieu n'est point fait pour ceux qui ont besoin de Lui.

C. La « Bêtise » de Gustave

1. De la Bêtise comme substance
a. La cérémonie
b. le langage

p. 639

L'idéologie bourgeoise n'est, en 1840, pas entièrement déterminée. La preuve en est que la bourgeoisie ne se sent à l'aise que dans un régime monarchique.
2. De la Bêtise comme négativité

Deuxième Partie : La Personnalisation

Livre Premier : « Qu'est-ce que le Beau sinon l'impossible ? »

I. L'enfant imaginaire

p. 656

[...] l'autre nom de cette totalisation sans cesse détotalisée et retotalisante c'est la personnalisation. La personne, en effet, n'est ni tout à fait subie, ni tout à fait construite :au reste, elle n'est point ou, si l'on veut, elle n'est à chaque instant que le résultat dépassé de l'ensemble des procédés totalisateurs par lesquels nous tentons continuellement d'assimiler l'inassimilable, c'est-à-dire au premier chef notre enfance : ce qui signifie qu'elle représente le produit abstrait et sans cesse retouché de la personnalisation, seule activité réelle — c'est-à-dire vécue — du vivant.

p. 658

[...] il s'est personnalisé, aux yeux du public, par le roman qu'il a publié.

p. 659

[...] le mal de Gustave (c'est-à-dire sa constitution) transforme à son tour ce projet totalisateur en l'infectant complètement [...] Dans la prmière partie de cet ouvrage, nous avons décrit le mal non le stress [...] Il faut à présent reconstituer dans toutes ses phases le mouvement dialectique par lequel Flaubert se fait progressivement l'auteur-de-« Madame Bovary ».

p. 664

Kean peut offrir son être à Hamlet, celui-ci ne lui prêtera jamais le sien : Kean est Hamlet, frénétiquement, entièrement, à corps perdu mais sans réciprocité, c'est-à-dire à cette réserve près qu'Hamlet n'est pas Kean.
[...]
Bien sûr, chacun joue à être ce qu'il est. Mais Kean, lui, joue à être ce qu'il n'est pas et qu'il sait ne pas pouvoir être.

A. Inaction et langage

p. 670
Dirons-nous qu'il ment ? Pas du tout. Il veut convaincre. Et, faute de pouvoir affirmer, il exagère. Insincère, oui, sans aucun doute mais à condition d'ajouter qu'il est affecté d'insincérité : il en fait trop parce qu'il n'est pas capable d'en faire assez [...]

p. 673

[...] aussi l'enfant n'est-il jamais plus aliéné, jamais plus irréel que lorsqu'il dit : « Moi, je... » Moi : l'unité des profils innombrables qu'il offre aux autres à son insu. Je : le sujet de la praxis et de toute affirmation.

B. Le regard

1. Le miroir et le rire
p. 674
L'amour qu'il portait alors à ses parents, c'était indissolublement une passion et un impératif. Cette structure est commune à la plupart de nos affections : l'être y est devoir-être et inversement.

Note : C'est précisément ce que Hegel nomme pathos. [...]

p. 680, Note 1.

[...] nos photos ou un film où nous figurons sont plus révélateurs pour nous qu'une glace. L'attitude que j'ai prise devant le photographe, les gestes que j'ai faits devant la caméra, ils sont miens, je les reconnais mais je peux les observer dans la mesure où, dans le moment que je regarde, je ne prends plus celle-là, je ne fais plus ceux-ci : mon image, libérée de moi, tend à devenir celle d'un autre et je tends à la juger avec les yeux des autres.

p. 681, Note 1.

[...] le miroir délivre des autres, c'est le rapport de soi-même avec soi. Nos seules victoires, dit-il à Louise pour la consoler d'un échec, sont celles que nous remportons devant notre glace. [...] Gustave choisit pour image du pour-soi l'objet qui manifeste, dans un mirage, son être-pour-autrui.
2. Le miroir et le fétiche

C. La geste du don

D. Il et moi

II. De l'enfant imaginaire à l'acteur

A. Être acteur

B. Gloire et ressentiment

C. Du comique considéré comme masochiste

III. De l'acteur à l'auteur

IV. Scripta manent

V. Du poète à l'artiste

A. L'amitié frustrée

B. La négation manquée

1. Le superflu comme lacune infinie
p. 1077
Plus lucide que son maître, l'esclave va au fond des choses quand il définit la « vie véritable » par la possession du superflu. Mais ne nous y trompons pas, ce ne sont pas les choses qu'il convoite mais la qualité d'âme qui permet de les convoiter. Cercle vicieux : cette qualité même vient aux riches de la richesse qui les arrache au règne de la nécessité, l'abondance leur permet de ne plus considérer les objets en fonction de leur seule ustensilité.
2. De la gratuité comme impératif catégorique

Livre II : Le collège

VI. De la geste au rôle : Le Garçon

A. La structure

Naissance du Garçon
p. 1228
À humour noir, rire jaune.

p. 1231-1232

Pourtant ce puissant organisme le circonvient plus qu'il ne le persuade : une haute taille est une preuve qui prouve ce qu'on veut ; le timide y trouvera la confirmation de sa timidité : il n'osera jamais se déplier, il aura peur de sa force ; pour y puiser la certitude d'être supérieur aux autres, il faut déjà vouloir les dominer. Et l'on sait fort bien, au contraire, qu'un corps de dimensions réduites, loin d'empêcher l'orgueil, la volonté de puissance et l'agressivité, les favorise souvent, fût-ce à titre de compensation. Il faut concevoir ici toute une dialectique de l'organisme vécu et des options. Celles-ci préexistent, puisqu'elles sont enracinées dans la protohistoire, mais restent abstraites, implicites jusqu'à ce que celui-là, déchiffré en fonction d'elles, les découvre à elles-mêmes en se proposant comme leur confirmation concrète.
La générosité
p. 1234-1235
Et que donne-t-il ? Disons que sa persona, née de sa scandaleuse anomalie, commence par un transfert de scandale ; pour couvrir les insuffisances humiliantes du jeune garçon, elle se consacre à manifester aux hommes le scandale originel et infini de la création : pourquoi y a-t-il de l'Être plutôt que Rien ? pourquoi cet Être prétendu n'est-il qu'une détermination du Rien ? Pourquoi y a-t-il du Rien plutôt que de l'Être ? Pourquoi l'Infini n'est-il qu'une pulvérisation de solitudes ? Pourquoi l'Absolu-Sujet en chaque individu fini se laisse-t-il déclasser, disqualifier par l'Infini sans détermination ? Pourquoi y a-t-il de la souffrance plutôt qu'un calme Néant silencieux ? Pourquoi chacune de nos souffrances est-elle avalée, digérée, dissoute par l'universel Néant ? Bref le Cosmos, infini ou fini, illusoire ou réel, créé ou incréé reste en tout état de cause scandaleux.
Du rire comme structure fondamentale du Garçon (ou du sadisme d'un masochiste)
p. 1299-1300
Le Je ne s'oppose pas à l'Ego, il en fait partie, au contraire, et se rapporte plus particulièrement à l'ipséité proprement dite ainsi qu'aux divers secteurs de la praxis. Le Je et le Moi ont le même contenu puisqu'il s'agit de désignations différentes du même Ego. De fait, nous sommes projet, c'est-à-dire dépassement du subi ; en conséquence, selon les circonstances et nos intentions particulières, il nous est loisible de nous considérer dans notre passivité (et dans ce cas, le projet lui-même révèle son passif : il est en fuite conditionnée par un certain donné) ou dans notre activité (en ce cas, même la passion est libre négation du donné, dépassement vers..., pro-jet). Dans la première attitude, l'Ego se révèle comme Moi, dans la seconde comme Je.

B. L'histoire (le psychodrame)

1. Le reflux
2. La prise de conscience impossible

p. 1442

[...] les ci-devant Enragés, devenus Blasés, vont rencontrer Gustave : de cette recontre naîtra le Garçon.

Qu'est-ce qui les fait rire, ces adolescents ? Le monde ou leur suicide manqué ? L'un et l'autre : disons que leur échec a dévoilé leur imposture ; leur être-dans-le-monde-pour-mourir, c'était une comédie : ils y sont pour y vivre.

VII. Du poète à l'artiste (suite)

A. La déception littéraire (1838-1840)

B. Prendre un état

Troisième partie : Elbenhon ou la dernière spirale

Livre Premier : La « chute » envisagée comme réponse immédiate, négative et tactique à une urgence

Livre II : La crise envisagée comme stratégie positive à la lumière des faits qui l'ont suivie, ou le « Qui perd gagne » comme conversion à l'optimisme

IV. Le « Qui perd gagne » rationalisé

p. 1977
Cantor définit le transfini comme le résultat d'une série infinie d'opérations qu'on suppose effectuées.
A. La troisième hypostase
B. Quelques remarques sur le « Qui perd gagne » rationalisé
C. Dialectique des trois hypostases

V. Le sens réel du « Qui perd gagne »

A. Gustave Flaubert de 45 à 47
B. Le « Qui perd gagne » comme attente du miracle
p. 2089
Avec la même insincérité le bon chrétien fait le bien par obéissance ou par charité mais non pas pour mériter le ciel.
C. « L'Art m'épouvante »
D. « ...Dieu des âmes ! Donne-moi la force et l'espoir ! »
E. « Notre-Seigneur Jésus qui l'emportait dans le ciel »

Philosophie
Marc Girod