Humain, trop humain

Friedrich Nietzsche, Menschliches, Allzumenschliches, 1878, 1893
Traduction A.-M. Desrousseaux (1899), H. Albert (1902), A. Kremer-Marietti, 1995
Librairie générale française, le Livre de Poche, Classiques de la philosophie, 2016

Un peu déçu. Au risque de tomber sous l'accusation de myope (cf II. 128), je peine à apprécier l'ensemble. Nietzsche souffre peut-être aussi d'avoir souvent eu raison trop tôt, et de ce que ses idées ont ainsi perdu de leur originalité, quand elles n'ont pas perdu tout court. Quelques joyaux indéniables (par ex. III 16). Une parenté avec Oscar Wilde, son contemporain, pour le cynisme, le goût du paradoxe, et l'humour.

I — Humain trop humain

I. Des choses premières et dernières

16, p. 47
[L]a chose en soi est digne d'un rire homérique : [elle] paraissait être tant, même tout, et [elle] est proprement vide, notamment vide de sens.

III. La vie religieuse

142, pp. 143-144
Novalis, une des autorités en matière de sainteté par expérience et par instinct, exprime quelquepart tout le secret avec une joie naïve : « Il est assez étonnant que l'association de la volupté, de la religion et de la cruauté n'aient pas depuis longtemps rendu les hommes attentifs à leur parenté intime et à leur tendance commune. »

143, p. 144

[Le saint] Ce qu'il y avait de contourné et de morbide dans sa nature, avec son amalgame de misère intellectuelle, de médiocre savoir, de santé altérée, de nerfs exaspérés, restait aussi caché à son regard qu'à celui de son témoin. Il n'était pas un homme particulièrement bon, encore moins un homme particulièrement sage : mais il signifiait quelque chose qui dépassait la mesure humaine en bonté et en sagesse.

IX. L'homme avec lui-même

544, p. 325
Mal voir et mal entendre. Qui voit peu voit toujours trop peu ; qui entend mal entend toujours quelque chose de trop.

II — Opinions et sentences mêlées

97, p. 406
De l'avenir du christianisme. On peut faire des suppositions sur la façon dont disparaîtra le christianisme et sur les contrées où il cédera le pas le plus lentement, si l'on examine pour quelles raisons et en quels lieux le protestantisme se propagea avec le plus d'impétuosité. [...] il fut dès l'abord, plus intellectuel que sensuel et aussi, pour la même raison, plus fanatique et plus opiniâtre aux époques de danger. Si l'on parvient à déraciner le christianisme en l'attaquant par l'esprit, on peut prévoir où il commencera à disparaître : là précisément où il se défendra avec le plus d'âpreté.

128, p. 422

Contre les myopes. Croyez-vous donc que ce soit une œuvre faite de pièces et de morceaux parce qu’on vous la présente (et qu’on doit vous le présenter) en morceaux ?

III — Le voyageur et son ombre

7 p. 531
Deux modes de consolation. [Deux] artifices calmants d'Épicure qui peuvent s'appliquer à beaucoup de problèmes. Sous leur forme la plus simple, ils s'exprimeraient à peu près en ces termes : premièrement, supposé qu'il en soit ainsi, cela ne nous importe en rien ; deuxièmement : il peut en être ainsi, mais il peut aussi en être autrement.

16 p. 536

Où l'indifférence est nécessaire. Rien ne serait plus absurde que de vouloir attendre ce que la science établira définitivement sur les choses premières et dernières [...] La tendance à ne vouloir posséder sur ces matières que des certitudes absolues est une surpousse religieuse [...]

21 p. 541

L'homme, celui qui mesure. On sait que le mot « homme » signifie celui qui mesure.
[Pas clair : MenschMessende ? cf Zarathoustra]

293 p. 668

But et moyens de la démocratie. Ce qu'on appelle ainsi aujourd'hui se distingue seulement des vieilles formes de gouvernement par des chevaux nouveaux : les routes sont encore les mêmes que par le passé et les roues du char aussi.

Wikisource : traduction de 1899-1902,
Philo
Marc Girod