Le livre de l'intranquillité

de Bernardo Soares
Fernando Pessoa
Traduit du portugais par Françoise Laye
Christian Bourgeois, 1999 (original 1982/1989)

Introduction, par Richard Zenith

pp. 15-16
« Tout de que l'homme expose ou exprime est une note en marge d'un texte totalement effacé. Nous pouvons plus ou moins, d'après le sens de la note, déduire ce qui devait être le sens du texte ; mais il reste toujours un doute, et les sens possibles sont multiples. »

Autobiographie sans événements

18

p. 52
Dans mes rêves, je suis semblable au coursier et à la cousette. Je ne me distingue d'eux que parce que je sais écrire.

36

p. 66
Ce sont les gens qui m'entourent d'ordinaire, ce sont les âmes qui, me méconnaissant, me connaissent par le contact et les paroles de tous les jours—c'est tout cela qui saisit mon esprit à la gorge pour y mettre ce nœud salivaire de dégoût physique. C'est la monotonie sordide de leur vie, parallèle à la couche extérieure de la mienne, c'est leur intime conviction d'être mes senblables—c'est cela qui m'habille d'un costume de forçat, qui me place dans une cellule de pénitencier, qui fait de moi un être apocryphe et un mendiant.

42

p. 73
Ce sont des oiseaux fascinés par l'absence du serpent [...]

46

p. 76
J'ai la dimension de ce que je vois.

50

p. 80
La beauté d'un corps nu n'est sensible qu'aux races qui vont vêtues. [...] L'artificiel, c'est la façon de jouir du naturel. [...] La civilisation nous éduque à la nature. L'artificiel, voilà le chemin pour se rapprocher du naturel.

64

p. 96
Le saint pleure, il est humain. Dieu se tait.

67

p. 98
[...] les fantaisies colorées des arbres et des fleurs ont juste assez de place pour en manquer [...]

71

p. 102
[...] la plupart des gens pensent avec leur sensibilité et [...] moi je sens avec ma pensée [...]

84

p. 114
Je me suis.

133

p. 157
Je n'ai rien demandé d'autre à la vie que de ne rien me demander à moi.

155

p. 176
Chez les grands hommes d'inaction, au nombre desquels je me compte humblement, le même sentiment [la vacuité éprouvée à se sentir vivre atteint l'épaisseur de quelque chose de positif] conduit à l'infinitésimal ; on tire sur les sensations comme sur des élastiques, pour voir les pores de leur feinte et molle continuité.

176 L'auberge de la raison

p. 197
La raison, c'est la foi dans les choses qu'on peut comprendre sans la foi ; mais c'est encore une forme de foi, parce que comprendre part du présupposé qu'il existe quelque chose de compréhensible.

211

p. 228
L'enthousiasme est une grossièreté.
L'expression de l'enthousiasme est, par dessus tout, une violation de nos droits à l'insincérité.
Nous ne savons jamais quand nous sommes sincères. [...]
Extérioriser nos impressions, c'est bien plus nous convaincre que nous les éprouvons que les éprouver réellement.

249

p. 257
Ainsi naquirent un art et une littérature composés d'éléments secondaires de la pensée—le romantisme ; et une vie sociale composée des éléments secondaires de l'activité—la démocratie moderne.

270

p.281
Posséder, c'est perdre. Sentir sans posséder, c'est conserver, parce que c'est extraire de chaque chose son essence.

328

p. 326
Le plaisir délicieux de se voir compris reste interdit à ceux qui, précisément, voudraient l'être davantage—car c'est le propre des êtres complexes et incompris ; quant aux autres, ces gens simples que tout le monde peut comprendre—ceux-là n'éprouvent jamais le besoin d'être compris.

454

p. 431
Aucun empire ne vaut la peine que l'on casse pour lui la poupée d'un enfant.

Poésie, aphorismes
Marc Girod