« La plénitude de la raison unique »


Benoît XVI
Traduit par Sophie Gherardi
Au commencement était le logos et le logos est Dieu.
Manuel II pouvait dire : « Ne pas agir "avec le Logos" est contraire à la nature de Dieu. »
[...]à la fin du Moyen Âge se sont développées dans la théologie des tendances qui brisaient cette synthèse entre esprit grec et esprit chrétien. à rebours de ce qu'on pourrait appeler l'intellectualisme augustinien et thomiste prend naissance, avec Duns Scott, une posture volontariste qui, à travers ses différents développements, conduisit à affirmer que nous ne connaîtrions de Dieu que la voluntas ordinata. Au-delà de celle-ci existerait la liberté de Dieu, en vertu de laquelle Il aurait pu créer et faire le contraire de tout ce qu'il a effectivement fait. Ici se profilent des positions qui, sans aucun doute, peuvent se rapprocher de celles d'Ibn Hazm et pourraient conduire jusqu'à l'image d'un Dieu-arbitre, qui n'est lié ni à la vérité ni au bien.
Au contraire, la foi de l'Église s'en est toujours tenue à la conviction qu'entre Dieu et nous, entre son Esprit créateur éternel et notre raison créée, existe une véritable analogie dans laquelle — comme le dit le Concile de Latran IV en 1215 — les dissemblances sont certes infiniment plus grandes que les ressemblances, mais pas au point cependant d'abolir l'analogie et son langage.
à la thèse selon laquelle l'héritage grec, purifié par la critique, est partie intégrante de la foi chrétienne s'oppose à la demande de déshellénisation du christianisme [...] on observe trois vagues dans ce programme de déshellénisation [...]

La déshellénisation émerge d'abord en relation avec les postulats de la Réforme de XVIe siècle. [...] Le sola Scriptura [...] recherche la forme pure et primordiale de la foi, telle qu'elle est présente à l'origine dans la Parole biblique. La métaphysique apparaît comme un présupposé dérivant d'une autre source, dont il convient de libérer la foi [...]
En affirmant qu'il avait dû écarter le savoir pour faire place à la foi, Kant a agi dans le cadre de ce programme avec une radicalité que les réformateurs n'auraient pu prévoir. Ce faisant, il a ancré la foi exclusivement dans la raison pratique, lui déniant l'accès à la totalité du réel.

La théologie libérale du XIXe et du XXe siècle a apporté une deuxième vague au programme de déshellénisation [...] Le point de départ en était la distinction de Pascal entre le Dieu des philosophes et le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. [...] Jésus aurait marqué l'adieu au culte, en faveur de la morale. En définitive, Il est représenté comme le père d'un message moral humanitaire. (...)
En arrière-fond, il y a l'autolimitation moderne de la raison, exprimée de façon classique dans les « critiques » de Kant, mais entre temps radicalisées par la pensée des sciences naturelles.


Le Monde
Marc Girod