« En France, le système de financement des cultes est extrêmement inégalitaire »

Le Monde du 12 décembre 2020
Thomas Piketty
En France, on aime bien donner des leçons de laïcité à la Terre entière. Ce n’est pas chez nous qu’un président prêterait serment sur la Bible ! Le problème est que ce grand récit national s’accompagne parfois d’une hypocrisie monumentale.
Ainsi les lieux de culte ne sont officiellement pas subventionnés, sauf lorsqu’ils ont été bâtis avant la loi de 1905. En pratique, cela concerne presque exclusivement des églises chrétiennes.
De même, les écoles, collèges et lycées confessionnels catholiques en place lors du vote de la loi Debré (1959) continuent d’être massivement financés par le contribuable, dans des proportions que l’on ne retrouve quasiment dans aucun pays. Ces établissements ont aussi conservé le droit de choisir librement leurs élèves, sans respecter la moindre règle commune en termes de mixité sociale.
La France est également le seul pays à avoir choisi de fermer ses écoles primaires un jour par semaine (le jeudi, de 1882 à 1972, puis le mercredi) pour le donner au catéchisme.
Si vous faites un don à l’Eglise de France ou à la Mosquée de Paris, vous obtenez une réduction d’impôt égale à 66 % de votre don. Autrement dit, un don de 100 euros ne vous coûte que 34 euros (si toutefois vous êtes imposable), et les 66 euros restants sont payés par la collectivité nationale [...]
Concrètement, les subventions publiques liées aux réductions d’impôt sur le revenu pour les dons aux associations se montent au total à 1,5 milliard d’euros par an (dont environ 200 millions d’euros pour les associations cultuelles, essentiellement en faveur de l’Eglise catholique, qui a davantage de riches donateurs). Cela représente une dépense moyenne de 30 euros pour chacun des 50 millions d’adultes-résidents en France. On atteint même 50 euros par adulte si l’on inclut les réductions d’impôt pour dons au titre de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) et de l’impôt sur les sociétés. Plutôt que de concentrer ces sommes sur les plus aisés, on pourrait imaginer que chacun dispose d’un même « bon pour la vie associative » de 50 euros pour le consacrer à l’association de son choix (religieuse, culturelle, humanitaire…), quelles que soient ses valeurs et ses croyances.
Espérons que le débat parlementaire permette de sortir des invectives et de promouvoir une laïcité ouverte et égalitaire.

Article, Le Prix de la démocratie
Le Monde
Marc Girod
Sun Dec 13 09:07:49 2020