« Le port du voile intégral n’est pas déterminé par la religion, mais par le rapport aux hommes »

Agnès De Féo, interviewée par Youness Bousenna
Le Monde du dimanche 29 novembre 2020
Cette loi a donc encouragé ce qu’elle voulait interdire, en construisant une identité répondant au cliché que les médias donnent des pratiques rigoristes. Elle a laissé à ces femmes l’opportunité de croire qu’elles pouvaient déstabiliser notre modèle social par leur seul comportement individuel.
Durant toutes mes années de recherche en France, je n’ai jamais rencontré de femme ayant porté le niqab sous la contrainte, notamment masculine, comme s’en persuade le grand public. La plupart de ces femmes sont célibataires et se voilent le visage dans l’espoir de s’unir à un musulman rigoriste.
Alors que je prenais ce vêtement pour une aberration, l’expérience de me voiler le visage m’a procuré des sensations incroyables, du fait de voir sans être vue, que je n’aurais jamais soupçonnées avant d’en faire l’expérience
Le niqab pourrait être comparé aux talons aiguilles : un accessoire qui donne une sensation de supériorité en faisant fantasmer le sexe opposé – ici, le potentiel mari salafiste. Ces femmes sont de purs produits de la société de consommation occidentale.
Cette manifestation de la religiosité extrême, aussi gênante soit-elle, nous renvoie à notre société et à la violence des normes de beauté imposées aux jeunes filles. Au lieu de prendre en compte cette réalité, la loi de 2010 est venue stigmatiser des femmes au départ absolument inoffensives, ne cherchant pas à troubler l’ordre public, ne menaçant personne.
Cette loi électoraliste est donc doublement perverse : elle a poussé des femmes vers le niqab tout en encourageant les radicaux.

Article,
Le Monde
Marc Girod
Sun Nov 29 11:16:27 2020