Les millions de Total aux généraux birmans

Julien Bouissou et Nabil Wakim, Le Monde du mercredi 5 mai 2021
[...] la Moattama Gas Transportation Company (MGTC), propriétaire du pipeline acheminant le gaz de Yadana vers la Thaïlande, et dont Total est l’opérateur et le premier actionnaire.
« Lorsque la totalité du profit est sur le transport, c’est qu’il s’agit d’une optimisation fiscale particulièrement agressive », explique un bon connaisseur de ce type d’opérations. « Ce n’est pas forcément de la corruption. Simplement, les impôts payés sur le transport sont en général bien inférieurs à ceux payés sur la production », détaille Johnny West, du cabinet Open Oil, qui conseille des gouvernements sur leurs liens avec les compagnies pétrolières.
les propriétaires du tuyau et de l’exploitation du gisement de gaz sont les mêmes, répartis de manière identique au capital des deux sociétés. On y trouve le français Total (31 %), le thaïlandais PTT Exploration and Production Public Company Limited (PTTEP, 26 %), l’américain Chevron (28 %) et l’entreprise publique Birmane MOGE (15 %).
Total et ses partenaires paient très peu de royalties à l’Etat birman pour l’exploitation du gaz proprement dite, en raison des coûts élevés de transport.
Par une étrange coïncidence, les bénéfices confortables du gazoduc sont ensuite versés sous la forme de dividendes non imposables. Le 20 décembre 1994, lors de la mise en place du projet gazier, les actionnaires du tuyau ont en effet pris le soin d’enregistrer leur holding aux Bermudes, un paradis fiscal où ni les cessions de parts, ni les revenus ni les dividendes ne sont taxés.
« A l’exception de la période 2016-2020, MOGE n’a été dirigée que par des cadres de l’armée ou des officiers à la retraite qui l’avaient sous son contrôle »
Pendant des années, des milliards de dollars sont ainsi apparus sous la mystérieuse ligne comptable intitulée « other accounts » – au moins jusqu’à ce que le gouvernement, dirigé par la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) d’Aung San Suu Kyi, ne décide de les interdire en 2019, sans que personne ne sache précisément à quoi ces sommes correspondent.
Après avoir été très profitable pour les généraux et le groupe français, le champ gazier de Yadana est désormais sur le déclin. Selon Total, il devrait cesser son activité en 2025.

Article,
Le Monde
Marc Girod
Sat May 15 08:12:57 2021