L’adoption de la loi Duplomb constitue un moment de rupture démocratique inédit
Chronique de Stéphane Foucart,
dimanche 13 juillet 2025
Il faut expliquer contre qui ils ont voté.
Ils ont, bien sûr, voté
contre tout ce que la France compte d’associations
de défense de l’environnement, mais ce n’est pas très étonnant.
Ils ont surtout voté contre vingt-deux sociétés savantes médicales,
contre la Ligue contre le cancer,
contre les administrateurs et les personnels
de l’Agence nationale de sécurité sanitaire,
contre le troisième syndicat agricole de France,
contre la Fondation pour la recherche médicale,
contre vingt mutuelles, groupes mutualistes
ainsi que la Fédération des mutuelles de France,
représentant plusieurs millions d’assurés,
contre le Conseil scientifique du CNRS,
contre la Fédération des régies d’eau potable,
contre des centaines de médecins et de chercheurs
qui ont signé intuitu personae des tribunes et des lettres ouvertes.
Des organismes de recherche sont aussi sortis de leur réserve
— le fait est inédit.
L’Institut d’écologie et d’environnement du CNRS a déclaré
« regretter profondément l’adoption de cette loi
à la vision court-termiste et ses conséquences graves sur l’environnement,
qui méprise santé et bien-être de la population,
[ainsi que]
le rôle des espèces sauvages dans la production agricole ».
« La communauté scientifique n’a pas été entendue ».
Que répondre à Laurent Duplomb lorsqu’il prétend que les haies s’étendent,
alors que le rythme de leur disparition
(plus de 23 000 kilomètres par an) a doublé depuis 2017 ?
Que répondre lorsqu’il assure que le changement climatique
est plutôt bénéfique pour sa région ?
À ce niveau d’inversion du réel, tout débat démocratique est impossible.
Comment la privatisation d’un bien commun,
opérée au prix du saccage de l’environnement et du paysage,
pourrait-elle bien être présumée
d’« intérêt général public majeur » ?
Le texte ne renvoie pas seulement une image inversée de la réalité,
il renverse aussi le sens même des mots.
Un décret, pris le jour du vote, place de facto sous influence politique
le travail de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation,
de l’environnement et du travail (Anses),
en lui imposant l’ordre de ses priorités d’expertises.
Article,
Le Monde, 2025