L'évolution

Pierre Sonigo et Isabelle Stengers
Mot à mot
EDP Sciences, 2003

Une onde d'abeilles

Pierre Sonigo
p. 18
La biologie moderne est à la croisée de deux théories déjà anciennes : la théorie de l'évolution [...] et la génétique [...] Les relations entre les deux théories [...] ont d'abord été tendues. [...] Une synthèse a été proposée [...] On l'appelle « théorie synthétique » ou encore « néodarwinisme ». [...] Pour moderniser la théorie de l'évolution, la cohérence imposerait de renoncer radicalement aux concepts de la génétique.

Le rêve et la réalité

p. 21
Malheureusement, il est impossible d'identifier [le] gène-ADN des biologistes moléculaires au gène-caractère des mendéliens. [...] L'ADN ne porte pas les gènes de Mendel.

Les besoins de la cause

p. 38
La Création était une théorie causale de l'Homme. La génétique est une théorie causale de l'individu.

p. 41

Déterminer un effet avant qu'il ne se matérialise revient à en contenir une représentation immatérielle déjà présente et indistinguable d'une cause finale. Ce que le philosophe David Hume appelait une cause « disproportionnée à l'effet ».
[...] Le finalisme est l'enfant du déterminisme. Le hasard est souvent invoqué pour sauver la cause en la coupant du finalisme. Par exemple : c'est le gène qui cause le caractère, mais le gène ne serait pas une cause finale, puisqu'il cause le caractère par hasard.

Le potentiel et l'utile

p. 53
Pour reprendre les termes d'Isabelle Stengers, la sélection naturelle est l'actualisation, sur le terrain, d'une promesse et de son destinataire. Ni hasard, ni nécessité. L'innovation évolutive est faite de rencontres inattendues entre le potentiel et l'utile.

Synthétique et neutre

p. 54
La théorie synthétique introduit un décalage gênant entre l'objet de la variation (le gène, le génotype) et l'objet de la sélection (l'organisme, le phénotype). Selon la théorie initiale, ce devrait être la même entité qui varie et qui bénéficie des avantages liés à ces variations.

Le gène despotique

p. 62
Selon la théorie du « gène égoïste », les niveaux supérieurs ne seraient que l'environnement, les « véhicules » permettant aux gènes d'optimiser leur survie.

p. 64

Un groupe n'est-il plus un groupe dès lors que les éléments se ressemblent ?
[...] pour Darwin, les ressemblances sont la conséquence de l'évolution, elles ne la dirigent pas.

L'espace et le temps

p. 67
L'individu est relatif. L'environnement l'est aussi. Les deux concepts essentiels de la théorie darwinienne ne pourraient-ils être définis de manière absolue ?

pp. 68-69

Les interactions de groupe parcourent l'espace du groupe, par définition plus étendu que celui de l'individu, et nécessitent donc plus de temps.
[...] peut-on imaginer des avantages sélectifs qui paradoxalement seraient instantanés tout en passant par le groupe ? L'instantanéité impose l'unité de lieu et donc une interaction locale. Si un phénomène de groupe apparaît, il ne peut donc résulter que de la simultanéité, du couplage des interactions locales. C'est dans ce sens précis que l'on utilise le terme d'« émergence ».

Conjonction d'intérêts

p. 80
Le cycle de vie n'est jamais à l'équilibre. Il alterne un partage qui nourrit la croissance et une remise en commun qui permet de revenir aux conditions initiales lorsque la croissance s'arrête. Le partage crée les différences qui structurent l'ensemble. La mise en commun abolit les structures initiales, mais relance le processus. Le temps qui sépare le partage des ressources et leur remise en commun définit la vitesse de reproduction.
[...] La situation est symétrique : le germen est une production du soma de la même manière que le soma est une production du germen. Cela entraîne la disparition de la distinction entre l'inné et l'acquis.

p. 81

On ne peut transmettre un caractère que si l'on transmet aussi l'« environnement » qui l'a sélectionné.

Le corps écosystème

p. 84
Le cancer ne serait plus conçu comme une violation du traité anti-prolifération imposé par la toute-puissance génétique. Il serait un état de moindre spécialisation des cellules répondant à une nouvelle distribution des ressources dans l'organisme. [...] De manière générale, la spécialisation répond à une raréfaction des ressources.

pp. 84-85

Les globules blancs du système immunitaire n'épargnent pas du tout notre organisme. [...] Le soi correspond donc à un état stationnaire de la production et de la consommation des constituants tissulaires.

p. 85

Le tout est une partie comme les autres.

Pour une approche spéculative de l'évolution biologique

Isabelle Stengers

La singularité de la question de l'évolution biologique

p. 92
Les Grecs croyaient-ils à leurs mythes ? Les inquisiteurs espéraient-ils obtenir la vérité en torturant ? Peut-on parler d'athéisme au Moyen Âge ? Y a-t-il une histoire du « sentiment maternel » ? Ces questions sont spéculatives en ce qu'elles mettent en communication nos évidences avec un passé qui nous propose de les comprendre autrement.

Un appétit spéculatif ?

p. 98
« Life is robbery » [...] Tout vivant requiert la destruction de ce qu'il définit comme sa nourriture. Whitehead introduit cette thèse par une opposition entre « sociétés vivantes » et cristaux qui correspond à la distinction contemporaine, associée à l'œuvre de Prigogine, entre les « structures d'équilibre », susceptibles de se maintenir indéfiniment si leur environnement reste ce qu'il est, et les « structures dissipatives » exigeant un environnement qui nourrisse les transformations permanentes dont la structure traduit l'articulation.

Ni Dieu ni gène, l'origine des individus, The Origin of Species, le hasard et la nécessité, What is Life?
Essais, biologie
Marc Girod